
|
10 avril 2016
Question de temps
"Jésus se manifesta": il rend sensible sa présence déjà là, permanente, mais dans un univers inaccessible aux sens. Il va en quelque sorte faire revivre à ses disciples les grandes étapes de leur existence avec lui. L'équipe de la première rencontre (Jean 1) se retrouve à la case départ, à la pêche, comme en Luc 4 par exemple. Même pêche "miraculeuse", annonce de la fécondité apostolique à venir. Pourtant, à côté des ressemblances et des reprises, des différences significatives: maintenant les filets ne se déchirent plus, Pierre ne se préoccupe plus de sauver la pêche mais se jette à l'eau à la rencontre du Christ. Tout recommence, mais autrement: on est passé dans la lumière pascale, cette lumière qui, symboliquement, se révèle sur le rivage en même temps que Jésus: "au lever du jour", dit le texte. Nous sommes passés aux temps de la grâce et tout devient lumineux. On le verra, ce temps n'est pas encore "dernier temps" mais oriente notre marche vers "le Jour du Seigneur", jusqu'à ce qu'il vienne (v. 23) pour une présence sans éclipse dans la clarté de Dieu (Apocalypse 21,23). En attendant, le jour se lève, mais ce n'est pas encore l'éblouissement du plein midi. C'est pourquoi notre texte accumule, à côté des traits de lumière, des détails négatifs: l'ennui des disciples, désormais, et provisoirement, oisifs; la nuit, où la pêche est nulle; la nudité de Simon.
À partir du dénuement
Cette nudité de Simon fait évidemment penser à celle d'Adam, en Genèse 3,7-11. Elle exprime le dénuement, la pauvreté de l'homme qui a sacrifié nu néant. Or, qui a vêtu l'homme après sa faute et sa vaine tentative pour se couvrir? Dieu lui-même (Genèse 3,21). On peut en déduire que cet "autre" qui mettra à Pierre sa ceinture quand il aura vieilli est Dieu également (v. 18). Et cela pour conduire l'apôtre vers cette traversée de la mort dont il ne voulait pas entendre parler en Matthieu 16,22. Pierre devra revêtir la mort du Christ pour finalement revêtir l'homme nouveau et ainsi "glorifier Dieu". A l'heure de la Passion, tous se sont enfuis et Pierre a renié. C'était la nuit "où nul ne peut rien faire" (Jean 9,4), la nuit de pêche nulle. Notons la mention de la nourriture: Jésus demande: "Auriez-vous quelque chose à manger?" (et non "un peu de poisson"). Quand nos textes parlent de nourriture, il y a dans le filigrane la question de la faim au désert, de la manne et, en fin de compte, le don de la chair pour la vie du monde. D'ailleurs, le geste de Jésus au verset 13 est décrit selon un "moule", une formule stéréotypée, eucharistique. Quant au pain et au poisson, ils sont restés symboles du Christ dans les premiers temps de l'Église. Après leur pêche nocturne, les disciples n'ont rien à donner et rien à manger. Ce dénuement est leur point de départ, et aussi le nôtre.
Père Marcel Domergue, sj
(Source : revue Croire)